Le gouvernement et le patronat martèlent une idée nouvelle, l’avenir des systèmes de retraite imposerait de limiter la masse financière relative consacrée aux retraites, de bloquer à 14 % la part des retraites dans le PIB, malgré l’augmentation continuelle du nombre de retraité-es. Voici la fiche explicative de Solidaires.
Cette idée rompt avec la politique progressiste du passé
Elle montre l’ampleur de la dégradation du rapport de forces entre le travail et le capital. Dans une période de rapport de forces plus favorable à la classe ouvrière, le progrès social a été possible, l’augmentation du nombre de retraité-e-s s’est accompagnée de l’augmentation de la part de PIB consacrée aux retraites. Les personnes en retraite ont pu bénéficier de la même augmentation de niveau de vie que les actifs.
C’est cette évolution que le système à points veut stopper.
Ces données, de l’INSEE et du gouvernement, sont reprises dans ce graphique réalisé par Alternatives économiques.
Lecture : entre 1960 et 2015, la part des plus de 65 ans est passée de 11,6 % à 18,6 % de la population totale (+8 points) et la part du PIB consacrée aux pensions de 5 % à 14 % (+9 points). Selon le gouvernement, d’ici 2050, la part des plus de 65 ans augmenteraient de 7,5 points … et la part de PIB ne devrait pas bouger (ou baisser). L’ajustement du système se fera essentiellement par la diminution des pensions et secondairement par un report de l’âge effectif de la retraite.
Comme le disait (presque) Gandhi « On reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses ainés » : le progrès social, c’est aussi bien s’occuper des retraité-es.
Le progrès social est possible grâce à l’augmentation de la productivité horaire (on produit plus pendant une heure de travail) et au partage des nouvelles richesses. Les découvertes technologiques de ces 2 derniers siècles ont multiplié la productivité horaire par 32, ce qui permet à un-e salarié-e d’aujourd’hui de travailler 2 fois moins tout en produisant 16 fois plus que celui/celle du début du 19e siècle.
Le partage des gains de productivité horaire permet une progression du niveau de vie des actifs et des retraités à condition que les actionnaires ne soient pas les seuls bénéficiaires de l’augmentation de la productivité du travail !
Le graphique ci-dessous (source Insee) indique comment, depuis 1980 (année prise en base 100), le partage de la productivité (+70 %) a permis d’augmenter le salaire réel de 20 % et d’utiliser le reste à l’augmentation des taux des cotisations dont les retraites, à la baisse du temps de travail… tout en augmentant les profits.
Pour les retraites, ce progrès social s’est concrétisé par l’augmentation du taux de la cotisation vieillesse : entre 1967 et 2009, ce taux sur le salaire plafonné a quasiment doublé, passant de 8,5 % à 16,65 % (17,75 % aujourd’hui).
Fin du progrès social ! Régression sociale !
Le 10 octobre 2018, le Haut-Commissaire Delevoye a présenté les 19 principes de la loi retraite que le gouvernement veut faire voter en 2019.
Le principe 12 affirme : « Le nouveau système sera construit dans le respect des grands équilibres financiers actuels ». Cette « règle d’or » signifie notamment que la part des retraites dans le PIB ne pourra jamais dépasser 14 % (hypothèse haute, ce serait moins le jour de l’application de la loi). Les dépenses bloquées vont de pair avec les recettes bloquées par le principe 5 qui fixe une fois pour toutes le taux de cotisation à 28 %, ce qui est conforme avec le principe même du système à points à «cotisations définies». Le patronat n’a plus à craindre une augmentation des cotisations pour équilibrer les comptes de retraite.
C’est la fin du progrès social, la part de PIB serait figée, en même temps que le taux de cotisation. C’est même de la régression sociale, la même part de PIB attribuée à un nombre de plus en plus important de personnes en retraite, c’est la diminution de la part de chacun-e, relativement à la part des actifs.
La baisse relative des pensions laisserait de plus en plus de place au développement de l’assurance privée, de la capitalisation, qui bénéficient d’aides fiscales payées par tous les contribuables. Le capital manque de rapport de forces pour récupérer la masse des cotisations sociales et des retraites, plus de 300 milliards, et la mettre sur les marchés financiers … mais elle a bien la volonté de la diminuer et, un jour, de la supprimer.
Régression des solidarités
La règle d’or concerne les pensions directes contributives, proportionnelles au nombre d’euros versés, et les autres composantes de la pension, les droits familiaux et les réversions qui représentent actuellement respectivement 20 % et 12 % de la masse des pensions.
Les « négociations » sont pipées. Le système à points n’est pas négociable, seules le sont les solidarités mais dans le cadre budgétaire contraint des 20 et 12 % de la masse des pensions : augmenter un droit signifie en diminuer un autre.
Quel sera l’avenir des solidarités sorties du coeur du système de retraite ? Ces solidarités prendraient la forme de points placés sur le compte personnel de la personne bénéficiaire, points payés par les recettes fiscales (utilisées comme variables d’ajustement de l’équilibre budgétaire par le gouvernement) et par l’instance qui touche les cotisations correspondantes, FSV, CNAF, UNEDIC… dont les recettes baissent, victimes de la diminution et des exonérations de cotisations sociales, que le gouvernement décide mais ne compense plus.
Le jour de la mise en place de la réforme, les 20 et 12 % seraient très probablement respectés, pour faire passer la pilule amère de la retraite à points, mais tout est mis en place pour les diminuer, au fur et à mesure des années.
Solidaires tient à ces solidarités et au maintien des avantages préférentiels pour les femmes : tant que l’égalité des salaires et de la prise en charge des enfants n’est pas réalisée, il faut majorer les retraites du niveau des inégalités de salaires constatées.
Solidarité actifs et retraité-es
Cette solidarité intergénérationnelle était possible par une revalorisation des retraites selon l’évolution du salaire moyen : tout le monde évoluait en même temps et se battait pour une augmentation du salaire moyen. Cette solidarité a été partiellement remise en cause par les décisions des gouvernements de ne revaloriser les pensions que sur le montant de l’inflation.
Cette solidarité disparaîtrait totalement dans le système à points. La règle d’or de la limite de 14 % du PIB à ne pas dépasser se traduit par une évolution des pensions inférieure au salaire moyen : le système équilibre automatiquement les recettes (les cotisations en proportion des salaires) avec les dépenses (la masse des pensions à distribuer entre davantage de personnes en retraite).
Le document du haut conseil de février 2019 a calculé qu’il faudrait revaloriser les pensions selon le salaire moyen -1,3 point. La réforme des retraites entérinerait une baisse relative et constante de la pension et un écart grandissant entre salaires et pensions.
La règle d’or de la réforme des retraites, c’est :
- La fin du progrès social qui consiste à augmenter la part de PIB consacrée aux retraites lorsque le nombre de personnes en retraite augmente.
- Une régression sociale qui diminue les pensions et creuse un écart grandissant entre pensions et salaires.
- La diminution programmée des solidarités, notamment pour les personnes en interruption temporaire ou définitive d’activités (chômage, invalidité, maternité, éducation des enfants, …).