L’analyse du projet de réforme des retraites par ATTAC permet d’éclairer les points clefs de ce projet et les menace qu’il fait peser sur nos futures pensions. Pour celles et ceux qui veulent aller plus loin, vous trouverez le texte intégral du projet en fin d’article et vous pourrez vous faire votre propre opinion. Vous trouverez sur le site d’ATTAC d’autres analyses très pertinentes sur ce projet.
Si ce projet de loi confirme les intentions du gouvernement, nous faire travailler plus, baisser les retraites pour toutes et tous, le flou reste important. Des principes sont souvent énoncés, sans que leur mise en application soient effectivement décidés. De nombreux points sont laissés à des ordonnances et à des décrets. L’organisation de la période de transition (qui doit durer au moins jusqu’en 2037, voire 2065), est entièrement laissée à des ordonnances.
Ce texte est bavard sur les « équilibres financiers », sans paradoxalement présenter des projections financières sur le « système universel », mais il est relativement silencieux sur les objectifs sociaux du régime de retraite : quel niveau de vie pour les retraités ?
Et la promesse d’un système plus égalitaire est bien loin de la réalité.
1- Un système qui s’équilibre par la baisse des pensions
La limitation du financement des retraites à hauteur de 14 % du PIB impose mécaniquement une baisse du niveau de vie relatif des retraités.
L’article 1 de la loi organique impose une « règle d’or » : le
système universel de retraite (SUR) doit être équilibré de manière
prévisionnelle, en cumul sur les cinq prochaines années. Par exemple en
2025 sur la période 2025-2029.
Cette « règle d’or » (article 1 de la loi organique) et différents
mécanismes (âge minimal du taux plein et âge d’équilibre en particulier)
organisent un système où les taux de remplacement ne
sont plus inscrits dans les textes, et où les retraites baissent automatiquement pour équilibrer le système.
Dans le projet de loi, le principe de l’« âge pivot » reste inscrit à
l’article 10 sous le vocable « âge d’équilibre » pour devenir
l’instrument principal de régulation des pensions à partir de 2037.
Annoncé à 64 ans dans le rapport Delevoye, il n’est plus précisé
puisqu’il est prévu qu’il puisse évoluer en fonction de deux
paramètres : la contrainte d’équilibre financier et l’évolution de
l’espérance de vie.
2- Les pensions des femmes menacées dans de nombreux cas
Le niveau des pensions de nombreuses femmes est menacé par plusieurs
des articles du projet de loi. La majoration de durée d’assurance ferait
place à une majoration de points à attribuer, au cas par cas, entre les
conjoints (article 44). Les périodes de temps partiel, même sur un
temps limité de la carrière se répercuteraient systématiquement sur la
pension sous la forme de droits diminués (sauf accord de l’employeur
pour cotiser plus – article 27).
Les pensions de réversion, dont les bénéficiaires sont à 90% des femmes,
sont fragilisées. Les femmes divorcées ne seraient notamment plus
protégées par une pension de réversion (article 62).
3- Les périodes de chômage et d’inactivité qui se répercutent sur la retraite
Les périodes de chômage pénaliseront systématiquement et fortement la
retraite. En effet, le chômage indemnisé ne permettrait d’obtenir des
points qu’en fonction de l’indemnité chômage, et le chômage non
indemnisé ne donnerait aucun droit (article 42). Pour les période de
chômage, les points seront basés sur l’ARE ou l’ASS (et non plus sur le
salaire antérieur) ; il n’y aura plus de point attribué pour les
périodes de chômage non indemnisés, ce qui est un double recul.
4- Une pension minimale pas vraiment garantie
Aucune pension minimale n’est prévue pour les personnes qui partiraient en retraite avant l’âge d’équilibre.
Le gouvernement se glorifie, dans sa présentation des principes généraux
de la loi, de prévoir une retraite minimum à 1000 euros, soit en
dessous du seuil de pauvreté. Mais le projet de loi ne fixe jamais ce
montant. Il se contente de préciser que la retraite minimum consisterait
en un pourcentage du SMIC qui sera fixé… par décret. De plus, son
attribution est conditionnée à une durée de cotisation minimale de 43
ans (donc une « carrière complète »). Pour ceux qui n’auraient pas
atteint les 43 ans, c’est à dire l’essentiel des « petites pensions »,
le montant sera diminué.
5- Tapis rouge pour développer la capitalisation
Le texte encourage le développement de l’épargne retraite par
capitalisation et prévoit l’extension des niches sociales et
exonérations fiscales pour les plans souscrits pour les super-cadres
dont les revenus excèdent 10 000 euros bruts par mois et dont une part
n’est plus soumise à cotisations (une baisse de cotisations et de
recettes estimée à 3,8 milliards d’euros pour le système de retraite).
L’article 64 ratifie les ordonnances prises du fait de la loi PACTE,
afin « de renforcer l’attractivité de l’épargne
retraite » :« assouplissement des modalités de sortie en rente ou en
capital et ouverture de tous les produits d’épargne retraite aux
assureurs, aux gestionnaires d’actifs et aux fonds de retraite
professionnelle supplémentaire ». Les bénéficiaires du crime (la
dégradation du système public de retraite) sont ainsi désignés.
6- L’État prend la main sur le « système de retraite universel ».
Deux institutions sont créées : la Caisse nationale de retraite
universelle (CNRU) et un « Comité d’expertise indépendant des
retraites ».
Le texte prévoit que la CNUR, mise en place dés le 1er décembre
2020, sera gérée paritairement par les partenaires sociaux : les
administrateurs représentants les salariés au sein de cette caisse
nationale seront désignés par les organisations ayant recueilli une
représentativité d’au moins 5%. Dans la pratique, cela ferait rentrer
l’UNSA dans la liste, mais pas Solidaires ni la FSU.
Le Conseil aura à fixer la valeur d’acquisition et la valeur de service
du point applicables au titre de l’année 2022 avant le 30 juin 2021 (le
taux de rendement de 5,5 % figurant dans le rapport Delevoye n’est pas
repris pour 2022). Il aura à fixer chaque année la revalorisation de ces
deux taux.
L’âge d’équilibre sera également déterminé par une délibération du
Conseil d’administration, ainsi que l’âge d’ouverture des droits,
l’évolution des taux de cotisation.
Le Conseil d’administration aura l’obligation de présenter des comptes
équilibrés, en jouant sur l’ensemble des paramètres existants, incluant
l’âge légal de départ en retraite, l’âge d’équilibre, la durée
d’assurance pour une carrière complète (dans un régime par points, la
notion de « carrière complète » ne se justifie plus sauf pour introduire
une décote liée à l’âge d’équilibre), les taux de cotisation,…
Si le Conseil d’administration ne présente pas de comptes avant le
30 juin ou que ceux-ci ne sont pas équilibrés, l’État pourra se
substituer à la Caisse par voie de décret.
Le COR est maintenu mais relégué dans un rôle secondaire. Un « Comité
d’expertise indépendant des retraites » (avec un président choisi par le
Président de la République, 2 membres de la Cour des comptes, le
directeur de l’INSEE, 3 personnes désignées respectivement par les
présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et du CESE), excluant les
organisations syndicales, joue un rôle central pour le pilotage du
système, avec des projections financières à 40 ans et veillant au
respect de la règle d’équilibre sur une période de 5 ans.
7- Les annonces d’Edouard Philippe du 11 janvier préfigurent le fonctionnement du futur système et de la période de transition
Le 11 décembre, l’« âge pivot » avait été introduit dans le système
avec effet quasi-immédiat en 2022 jusqu’en 2027, date prévue pour la
mise en œuvre du Système Universel de Retraite (SUR).
Il s’agissait prétendument de résorber le déficit attendu pour 2025 et de mettre les compteurs à zéro pour les débuts du SUR.
Le 11 janvier, l’« âge pivot » a été provisoirement suspendu et les
organisations membres de la conférence de financement sont sommées de
trouver les « solutions » pour combler le « déficit » ainsi créé.
Le gouvernement a commencé à dresser la liste des « solutions »
interdites : la hausse du « coût du travail » et la baisse des
pensions. Cela ferme la discussion sur la hausse des cotisations
sociales. Et de façon hypocrite, le gouvernement exclut une baisse
nominale des pensions qui serait politiquement délicate, mais leur
pouvoir d’achat baisse car elles sont partiellement sous indexées par
rapport à l’inflation depuis plusieurs années.
Restent alors les mesures d’âge : âge d’ouverture des droits,
accélération de l’allongement de la durée d’assurance, et…. âge pivot.
Si la Conférence de financement ne parvient pas à sortir de ce piège,
alors l’État reprendra la main pour remettre en place l’« âge pivot ».
Cette façon de faire est une préfiguration du « système universel ».
Comme les membres de l’actuelle Conférence de financement, les
administrateurs de la future CNUR seront soumis à la même injonction de
trouver les moyens pour équilibrer le système en tenant compte de la
contrainte d’éviter les « solutions interdites ».
Pour les personnes nées après 1975 qui relèveront du SUR, le recours à
l’âge d’équilibre est explicitement un moyen d’ajustement des pensions
dans le projet de loi.
Pour les personnes nées entre 1960 et 1975, la contrainte d’équilibre
sur 5 ans étant imposée à partir de 2025, les membres du Conseil
d’administration de la CNUR seront placés dans la même piège d’avoir à
« choisir » entre différentes mesures d’âge dont l’« âge pivot » »
rebaptisé « âge d’équilibre »
S’ils s’y refusent, le gouvernement reprendra la main pour imposer cette « solution ».